Les enseignements des premières pertes
Les premières pertes qui apparaissent avec les hausses de taux montrent que les produits dérivés ne protègent pas de tout et que l’endettement des fonds d’investissement se retourne contre eux.
La semaine dernière, je vous indiquais que malgré la hausse de taux qui pèse sur un niveau d’endettement bien supérieur à celui qui prévalait en 2008, nous n‘avions pas encore vu de très grosses pertes.
Certes, les marchés financiers ont beaucoup baissé en 2022, mais le vigoureux rebond de 2023 est en train de faire oublier le mauvais cru 2022 des marchés actions. La chute des cryptomonnaies – qui restent opaques pour beaucoup de monde - n’a pas vraiment fait pleurer dans les chaumières. Comme celle des absurdes NFTs (bon débarras).
Mais il y a quand-même quelques gros incidents qui donnent à réfléchir : le sauvetage des fonds de pension britanniques par la Banque d’Angleterre, le gel de plusieurs fonds américains.
La tragédie des Gilts : la livre a payé pour sauver les retraites
Au dernier trimestre 2022, la Grande-Bretagne a été confrontée à une crise de finances publiques mettant en danger ses retraites par capitalisation.
Bref résumé de cette tragédie shakespearienne:
Le budget présenté par l’éphémère première ministre Liz Truss a été jugé si délirant que les Gilts (équivalents des OAT françaises) ont plongé très brutalement.
Les fonds de pension britannique sont de gros détenteurs de Gilts. Prudents, ils s’étaient pourtant couverts contre une baisse de ces titres obligataires par des produits financiers dérivés. En effet, si la valeur de leurs obligations détenues en portefeuille baisse, les fonds vendent à perte et peuvent ne plus avoir assez de liquidités pour payer les pensions.
En l’occurrence, la baisse fut si brutale qu’elle a déclenché des demandes d’appels de marge pour les produits de couverture du risque qui dépassaient les capacités de paiement des fonds.
En gros, vous vous êtes assurés contre un risque mais le risque est subitement devenu énorme et si proche que l’assureur vous demande de décaisser rapidement une surprime gigantesque. Payer cette prime vous met en faillite.
Première leçon : les produits dérivés ne peuvent pas tout couvrir ni tout assurer, surtout dans des conditions anormales de marché.
La Banque d’Angleterre est intervenue pour éviter le désastre. Liz Truss a été éjectée au profit d’un ministre capable de présenter un budget plus réaliste : moins de dépenses et plus d’impôts.
L’or exprimé en livre est revenu à des sommets.
Évolution du cours de l’or exprimé en livres depuis 2007
Comme vous pouvez le constater, le cours de l’or en livres a beaucoup monté durant et après la crise de 2008. Après l’alerte de 2022, il est maintenant très proche de ses plus-hauts historiques.
La crise des finances publiques endurée par le Royaume-Uni pourrait tout aussi bien frapper notre pays. Certes, nous n’avons pas de retraite par capitalisation mais l’équivalent sont les fonds en euro des assurances-vie.
Nous y reviendrons dans un moment mais, auparavant, voyons ce qui s’est passé de l’autre côté de l’Atlantique.
Le gel de trois fonds américains : les déposants et les actionnaires paient
Fin 2022, Blackstone limite les retraits de son fonds immobilier qui gère près de 70 Mds$ d’actifs, pour cause de retraits trop importants. Peu après, la société gèle aussi les demandes de retrait de son fonds de crédit aux entreprises (BRCED) qui promettait à ses heureux investisseurs un rendement de 8%. Ce fonds est lourdement endetté.
Fin janvier 2023, KKR suspend aussi partiellement les sorties de son fonds immobilier, KKR Real Estate Select Trust qui gère 1,6 Mds$. Seulement 62% des demandes sont honorées. La société KKR est elle-même cotée et le titre a chuté de 5,7% à cette nouvelle.
Les déposants, ainsi que les actionnaires dans le cas de KKR, ont donc payé la casse.
Ces trois incidents nous rappellent que le gel des sorties se déclenchent lorsque trois évènements surviennent :
Beaucoup de déposants font simultanément des demandes
Les gérants de ces fonds opèrent à levier (ils empruntent pour acheter leurs actifs, ce qui leur permettait de promettre des rendements hors norme)
Les gérants de fonds ne veulent pas matérialiser de pertes en vendant car cela les mettrait en faillite.
La presse spécialisée parle de ces cas (lorsqu’elle en parle) comme de crise de liquidités mais la différence entre crise de liquidités et crise de solvabilité est souvent bien mince. Souvent, c’est simplement une question de temps.
Ce qui arrive au Royaume-Uni avec les fonds de pension qui ont investi dans des obligations britanniques, et aux Etats-Unis avec des fonds qui investissent en empruntant dans des instruments non cotés, pourrait-il se produire en France?
La France - qui enfile les déficits budgétaires comme des perles - n’est pas à l’abri d’une crise obligataire comme celle des Britanniques. Les assurances-vie – même si elles ne sont pas endettées comme les fonds américains – ne pourraient pas matérialiser les pertes si les demandes de retrait affluaient. Dans ce cas, elles actionneraient le dispositif de la loi Sapin qui leur permet de suspendre de remboursement.
Si le remède de la crise de 2008 fut « toujours plus de liquidités (de crédit) pour ceux qui sont trop gros pour faire faillite », celui de la crise à venir sera probablement différent. Les déposants trop confiants et les actionnaires paieront les pots cassés. Ensuite, le « trop gros pour faire faillite » mais les déposants ne retrouveront pas leur argent pour autant.
C’est pourquoi nous persistons à vous conseiller la plus grande prudence, à conserver vos liquidités et à les assurer contre une dévaluation par de l’or.
Le cours de l’or exprimé en euros a beaucoup progressé depuis 2020, et présente une allure assez similaire à celle de la livre.
Évolution de l’or exprimé en euro depuis 2007
Nous pensons que cette tendance à la hausse de l’or est durable tant que les problèmes de solvabilité n’auront pas été résolus. Et ces problèmes vont surgir bientôt car la dette qui était supportable à 0% ne l’est plus à 4,5%.